Interview de Bénédicte Helies, Outremer 55 Saga

 

Autrice du livre autobiographique « Trois océans pour grandir », Bénédicte retrace trois belles années de tour du monde, à vivre sur un catamaran en famille. Mère de trois enfants, elle répond à toutes les questions que pourraient se poser les familles souhaitant se lancer dans le voyage au long cours et gérer la scolarité de leurs enfants à bord.

 

Enseignement à distance pour les enfants : expérience personnelle et retour sur l’école choisie

 

Bénédicte a opté pour l’IEF, l’instruction en famille, pour ses enfants lors de leur premier tour du monde à bord de Moby. Arthur et Anna, âgés de 4 et 7 ans au moment du départ, n’ont donc pas été scolarisés dans une structure à distance telle que le CNED (Centre national d’enseignement à distance) ou d’autres écoles privées reconnues par l’Éducation nationale comme Kerlann, l’Académie Pi, le Cours Ste-Anne, le Cours Legendre, Hattemer Academy, etc.

 

En revanche, pour Victor, qui avait 12 ans, en classe de cinquième au collège au moment du départ, Bénédicte a choisi le CNED car les enjeux étaient différents. Elle a rapidement remarqué que le CNED collège était parfaitement adapté à leur situation, avec un contenu de qualité, pédagogique et facile à gérer sur un bateau sans besoin d’être connecté en permanence. Comparativement, le CNED primaire, avec un contenu dispersé et fastidieux à mettre en œuvre pour les parents, ne convenait pas du tout aux besoins de ses enfants en maternelle et du CE1 au CM1.

 

Bénédicte a donc continué à utiliser les méthodes de mathématiques et de français que son fils Arthur avait déjà acquis en cours d’année, avant de basculer vers une façon de faire plus autonome et adaptée aux besoins spécifiques de son fils en CE2 et CM1. Elle a également construit un programme d’activités de type Montessori pour Anna, en se basant sur les ateliers Montessori qu’elle avait suivis avant leur départ. Cette approche individualisée de l’IEF a été bénéfique pour ses enfants, qui ont rapidement adhéré et réussi à suivre leur programme éducatif tout au long de leur voyage.

Autonomie et suivi dans l’IEF : Comment ça fonctionne ?

 

Bénédicte était autonome en termes de rythme et de contenus, tout en souhaitant respecter les attentes de l’Education Nationale. Elle avait demandé à une de ses amies, institutrice et maître formateur de l’Education Nationale, de les suivre : elle lui envoyait les évaluations trimestrielles d’Arthur, qu’elle corrigeait, tout en encourageant les enfants. Cette amie avait également guidé Bénédicte sur les méthodes et l’avait rassurée quant aux objectifs scolaires à atteindre. L’intérêt de cette approche était aussi de mettre un médiateur entre Bénédicte et les enfants, ce qui a porté ses fruits : les enfants voulaient bien faire « pour Hélène ».

 

C’est à ce moment-là que Bénédicte a réalisé que ses enfants passaient de très longues heures sur les bancs de l’école, alors que seulement quelques heures par jour suffisent quand on individualise les parcours.

Gérer le fait d’être à l’écart du système scolaire concernant la socialisation des enfants

 

À l’époque, il était facile pour Bénédicte de basculer vers l’IEF en envoyant simplement un courrier au maire de la ville. À leur retour, les deux plus jeunes ont été réintégrés dans la même école dirigée par une enseignante qui connaissait bien les enfants. De nos jours, les dérogations d’IEF sont plus difficiles à obtenir et de nombreuses familles optent pour une scolarisation officielle avec des cours Ste-Anne, Ker Lann, Pi ou autre. Cependant, lors de leur voyage en bateau, Bénédicte et sa famille se sont rapidement retrouvées avec d’autres familles avec des enfants à peu près du même âge et ont adopté un rythme similaire. Ils ont voyagé ensemble et se sont vus régulièrement, ce qui a permis aux enfants de socialiser avec d’autres enfants de différentes nationalités et de réaliser l’importance de l’amitié. L’isolement relatif dans lequel ils étaient parfois a également permis aux enfants de lutter contre leur timidité et de briser la glace rapidement avec de nouveaux enfants. 

Faculté à se concentrer malgré les distractions de la vie à bord et les paysages paradisiaques

 

La rigueur était… de rigueur : école TOUS les matins obligatoires, avec un jour OFF en moyenne par semaine, pas toujours un dimanche ! Et très peu de « périodes de vacances », seulement en pratique si elle avait de la visite de la famille ou d’amis. Et dans tous les cas, 2 mois complets d’arrêt en juillet et août pour coller au rythme du CNED.

 

Ce rythme était le même sur tous les autres bateaux-copains, ils coupaient en général aussi la VHF pendant les heures d’école pour ne pas être distrait. Ils profitaient aussi des traversées pour faire un peu plus d’école et récupérer le retard éventuel. Idem sur les journées pluvieuses, ou celles où les enfants n’avaient pas de copains.

 

À l’inverse, ils déclaraient certaines journées de retrouvailles OFF. Également, chaque premier jour de traversée était chômé : quartier libre, pour avoir le temps de s’amariner, bouquiner, jouer etc…



Lire aussi : Le récit d’un voyage autour du monde en famille

Répartition des temps scolaires

 

Concernant le suivi de scolarité, Bénédicte était responsable du primaire et de la maternelle (Arthur et Anna), et son conjoint Loïc du collège (Victor). Victor était un élève autonome et sérieux, donc ils n’avaient pas besoin de beaucoup l’encadrer. Il était inscrit en « classe complète réglementée », nom un peu barbare pour dire qu’il suivait toutes les matières : Français, Mathématiques, Anglais, Espagnol, Histoire-Géo, Sciences-physique, Sciences de la Vie et de la Terre, Technologie, mais aussi musique et Arts plastiques… Cela fait beaucoup ! Les deux dernières matières, ils les travaillent souvent en groupe tous ensemble pour soulager Victor.

 

En tant que responsable du primaire et de la maternelle, Bénédicte se chargeait tous les ans de choisir les bons manuels, de s’assurer aussi qu’ils avaient les bons dictionnaires, matériel, livres etc.… adaptés à leur niveau et aux sujets étudiés. Pour trois enfants, cela demande une bonne planification !

 

Côté pédagogie et contenu, tous niveaux confondus, ils se sont répartis selon leurs compétences et préférences : Bénédicte était la prof de français, de langues et d’histoire-géographie, Loïc le prof de Mathématiques et de sciences, d’anglais aussi parfois. Ainsi, elle intervenait auprès de Victor assez souvent en français, notamment pour les études de textes du CNED qui sont assez pointues, en espagnol aussi qu’il commençait et qu’elle parlait bien. Loïc coachait les petits en math aussi, et Victor pour les sciences physique et la Techno.

 

Côté administratif, c’était Bénédicte la “directrice d’établissement”, chargée des inscriptions au CNED en classe réglementée : à réitérer tous les ans, une procédure administrative assez fastidieuse. Elle était aussi responsable de l’envoi des devoirs du CNED, 6 à 8 copies à numériser et envoyer par mois pendant 10 mois.

Une semaine type de scolarisation à bord

 

La journée d’école commençait assez tôt (au plus tard à 8h), pour se terminer assez tôt également, vers 11h, pour profiter de fins de matinée aller faire un snorkeling, une baignade avant le déjeuner. Leur ainé Victor qui avait objectivement plus de quantité de travail au collège se levait plus tôt, ce qui était son rythme matinal. Il était souvent au travail dès 7h !

 

En navigation, les après-midis étaient consacrés aux langues, à l’histoire-géo, aux expériences de sciences, d’art plastique, de manière assez ludique, et pour toute la famille. Ils se basaient essentiellement sur des ateliers Montessori et du travail collaboratif.

 

En général, ils s’accordaient tous une journée OFF par semaine : c’était indispensable pour les enfants comme pour les parents, car les petits n’étant pas autonomes, l’école les occupait vraiment à plein temps TOUS les matins. Ce jour OFF n’était pas un dimanche, mais un jour décidé par les parents, soit parce qu’ils n’étaient pas disponibles (partis faire des courses ou autre activité…), soit parce que les enfants en avaient besoin, (ou eux !), ou simplement parce qu’une journée complète était nécessaire pour faire une grande excursion ou une randonnée. Parfois aussi, ils les laissaient travailler en autonomie, avec l’aide du grand frère. L’idée était de les responsabiliser, pour un travail à leur portée. Et de favoriser l’entraide.

 

Et bien sûr, il y avait des jours avec, où tout est fluide et se passe bien, et des jours sans ! Des jours où l’école prend plus d’énergie. Dans tous les cas, ils avaient mis en place un temps de récréation pour les enfants, leur permettant de souffler. Ils allaient en général se défouler sur le trampoline ou faire des agrès avec la chaise de mât. Cela permettait aussi de se concentrer sur un enfant. Parfois aussi ce sont les parents qui prennent 10mn de pause pour un p’tit café à l’avant du bateau…. Pendant que les enfants travaillaient.

Gérer les écarts d’âge

 

Ils reconnaissent qu’avoir trois enfants d’âges aussi différents, l’un en maternelle, l’autre en primaire et un denier au collège n’est pas facile tous les jours. Dans la pratique, il régnait l’ambiance que connaissent la plupart des familles nombreuses : moitié-régiment où tout le monde suit le même rythme et le même programme, moitié adaptation du groupe aux besoins individuels de chacun.

 

Victor était un élève sérieux, rapide et autonome, ce qui leur libérait pas mal de temps pour les plus jeunes, plus demandeurs. Il avait aussi un besoin de liberté qu’ils lui laissaient avoir.

 

En pratique, ils avaient une ambiance de classe : le silence, on lève la main pour poser une question, et pour parler (y compris eux les adultes), on chuchote. Chacun respecte le travail de l’autre, sinon, il est exclu et envoyé dans sa cabine seul (en général les enfants n’aiment pas…). L’avantage aussi c’est qu’ils peuvent en profiter pour favoriser la coopération et l’entraide. Et les travaux de groupe étaient super intéressants, chacun y prenant sa place sans compétition.

 

Il en est résulté que Anna réclamait plus de travail que son âge ne lui demandait, elle a donc appris à lire plus vite et sauté le CP à leur retour. Cela a aussi permis les enrichissements : Arthur qui aime les sciences, suivait souvent d’une oreille les maths et sciences de son grand frère. Victor l’aîné, a pu parfaire ses qualités de pédagogue en expliquant leur travail aux plus jeunes, quand ils le mettaient à contribution. Bénédicte était fière de voir ses enfants s’épanouir dans un environnement éducatif adapté à leurs besoins individuels. 

Cette expérience scolaire à bord a-t-elle « transformé » les parents ?

 

Transformé, non, car ils n’ont pas soudainement eu envie de devenir enseignants ! De son côté, Loïc a pendant presque toute sa carrière été instructeur, il a donc naturellement des aptitudes et un savoir-faire à transmettre. Mais il est vrai qu’enseigner à leurs enfants, ils aiment ça !

 

Cela dit, cela leur a surtout fait réaliser combien cette vie de bateau leur avait permis de transmettre les valeurs qui comptaient pour eux : le respect de l’autre, y compris dans sa différence, l’autonomie, le sens du travail et de l’effort, la curiosité. Cela leur a permis aussi de relativiser la place de l’école dans les apprentissages : l’école n’est pas tout. Et en bateau, il y a mille autres occasions d’apprendre : la navigation, les manœuvres, l’entretien, les réparations, les pays visités, les copains rencontrés, les autres cultures, sans compter les nouveaux sports comme l’apnée, la planche à voile, se repérer sur une carte etc….

 

Et mille occasions de grandir et de s’ouvrir aux autres et au monde.

 

En effet, pour toutes ces raisons ils ont voulu repartir, pour offrir en particulier à leurs pré-ados et ados (Anna et Arthur auront entre 10-13 ans et 12 -15 ans pendant ce second tour du monde) un environnement qu’ils trouvent particulièrement propice aux apprentissages autres que scolaires.

Les enfants ont-ils apprécié ce mode de travail ?

 

Ils n’ont pas vraiment eu le choix, mais globalement ils avaient peu de temps scolaire, seulement 2 à 3 heures par jour, et beaucoup de temps libre pour jouer et s’amuser avec leurs frères et sœurs ainsi que leurs copains, et découvrir de nouvelles choses. C’était un mode de vie qu’ils ont beaucoup apprécié.

Retour à la terre ferme et à l’école

 

Finalement, ils étaient étonnamment tous les trois très heureux et impatients de retrouver le chemin de l’école.

 

Anna, 6 ans, est rentrée en CP avec un an d’avance car elle avait demandé à apprendre à lire pendant le voyage, ce que leur mère ne lui avait pas refusé. Elle avait cependant un peu de retard en mathématiques, qui a été vite comblé en quelques semaines par la maîtresse qui lui a fait un parcours individualisé. Elle a eu plus de difficulté que ses frères à se faire de bonnes amies.

 

Arthur, 9 ans, a retrouvé ses copains, et s’est bien adapté malgré un rythme qui lui pesait : de longues journées et se lever tôt ! Côté purement scolaire, il avait complètement rattrapé son retard et écrivait désormais aussi vite que ses camarades, ce qui était son point faible en CE1.

 

Victor, 15 ans, s’est vite bien intégré au lycée et s’est fait des copains dès le premier jour. Il a mis une petite année à prendre le rythme assez intense du lycée, à la fois en horaires de présence et en quantité de travail. Côté scolarité, il avait un bon niveau partout, d’excellentes bases en matières scientifiques, et quelques lacunes en français, particulièrement en méthodologie de rédaction. Cependant un excellent niveau d’anglais lui a permis de suivre un parcours international et de passer un double bac français et britannique (IB).

 

Retrouvez « Trois Océans pour grandir » publié par les Éditions Nautilus, en librairie ou sur internet.

 

Envie d’en savoir plus sur le voyage de Saga ? A travers leur blog Le Voyage de Saga, la famille Helies documente assidûment son voyage en cours (avec le Grand Large Yachting World Odyssey), à bord de l’Outremer 55 Saga ainsi que sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram.