Autrice: Nikki Henderson

 

Tout marin finira un jour par faire l’expérience du mal de mer. Même si ce n’est pas vous, il est inévitable que vous soyez au moins appelé à soutenir l’un des membres de votre équipage souffrant du mal de mer.
Se sentir un peu nauséeux les premiers jours d’une traversée est normal. Et malgré la stigmatisation qui entoure cette réaction corporelle naturelle et normale, le mal de mer ne fait pas de vous quelqu’un de faible, ni un « moins bon » marin, et il n’y a certainement pas lieu d’en avoir honte ou d’être gêné.

 

Combien de fois ai-je entendu des marins dire : « Je n’ai jamais le mal de mer ». C’est un fait extrêmement rare ! Au cours de mes 20 années de navigation, je ne me souviens que d’une poignée de personnes qui n’ont jamais été malades. Nous, les habitués du mal de mer, avons tendance à observer ces personnes – verts de jalousie. Alors que dès le premier jour de traversée, ils sont par exemple en train de bouquiner tranquillement, nous en revanche, nous précipitons vers notre couchette en espérant que notre estomac tienne le choc jusqu’à retrouver une position horizontale.

 

Et oui, je dis bien « nous ». S’il est plus rare aujourd’hui que je ressente le mal de mer, il m’arrive de me sentir déstabilisée les premiers jours d’une traversée, surtout si elle est très agitée. Je repense à ma traversée de la Manche il y a quelques mois. Moins de 24 heures après le départ, je pompais tête baissée l’eau de cale contaminée par le diesel alors que nous naviguions au près dans une tempête – et je respirais très profondément ! La prochaine fois que vous vous sentirez mal, sachez que vous n’êtes pas seul – les professionnels sont aussi victimes du mal de mer.

 

Je ne suis ni médecin, ni qualifiée pour vous dire comment guérir le mal de mer. Mais je vous encourage à trouver ce qui vous aide à le maîtriser. Essayez autant d’options différentes que possible, car il s’agit autant d’une maladie de l’esprit que du corps. Lorsque vous aurez trouvé la solution, même si elle est bizarre, tenez-vous en à cette solution et faites-vous confiance. J’ai vu des gens essayer les patchs à la scopolamine, le Stugeron, le Kwells et d’autres médicaments ; j’ai vu des gens manger du gingembre à ne plus en pouvoir ; porter des bracelets à points de pression ; certains jeûnent ; d’autres mangent ; un de mes amis ne jure que par les chips au sel et au vinaigre ; D’autres passent autant de temps qu’ils le peuvent à l’horizontale, les yeux fermés ; certains font la grimace et s’en sortent ; d’autres encore se recroquevillent en position fœtale, se demandent s’ils sont en train de mourir, puis renaissent quelques jours plus tard et se sentent à nouveau en pleine forme. Il n’y a pas de « bonnes » ou de « mauvaises » réponses, tant qu’elles n’impliquent pas que vous vous blessiez ou que vous vous sentiez coupable. Personne ne souffre du mal de mer intentionnellement (ce serait étrange…). Par conséquent, toute personne qui vous en veut d’être malade doit travailler sur son empathie – c’est son problème, ce n’est pas le vôtre.

 

En matière de mal de mer, mieux vaut prévenir que guérir.

Les remèdes ci-dessus doivent donc être consommés avant que vous ne vous sentiez malade pour qu’ils soient efficaces. Mais il existe aussi des éléments déclencheurs récurrents, qu’il vaut mieux éviter si possible.

L’anxiété est la cause la plus fréquente du mal de mer que j’ai observée. Se sentir nerveux.se à l’idée d’une traversée ou craindre d’avoir le mal de mer est la meilleure façon de le ressentir. En fait, la seule fois où j’ai personnellement vomi à cause du mal de mer, il s’agissait d’une réaction autant émotionnelle que physique. Travailler sur la manière de se calmer et de se détendre – éventuellement avec un thérapeute professionnel – pourrait être un bon investissement si vous pensez être concerné par le mal de mer.

 

Voici une liste d’autres déclencheurs du mal de mer que j’ai pu rencontrer : le début d’une traversée par gros temps ; la consommation d’aliments riches (bien qu’utilisé parfois comme prétexte : « Ce n’est pas le mal de mer, je pense que c’est le fromage » – alors que le bateau remonte au vent à 40 nœuds) ; les états de mer multidirectionnels ; les autres personnes qui vomissent près de vous ou sur vous (oui, cela arrive) ; les odeurs âcres – bacon/curry/diesel ; la déshydratation ; le fait de ne pas manger assez ; de trop manger ; la gueule de bois ; l’effort excessif lors d’un changement de voile ; la trop grande chaleur. Essayez d’éviter ces situations le plus possible.

 

Nous sommes nombreux à souffrir du mal de mer. Nous parlons beaucoup de prévention et de traitement, mais qu’en est-il de l’accompagnement et de la prise en charge d’une personne souffrant du mal de mer ? Comment pouvons-nous soulager un ou plusieurs membres de l’équipage confinés dans leur couchette ? C’est là, à mon avis, le point essentiel que j’aimerais que tous ceux qui lisent cet article de blog retiennent.

 

Pour commencer, parlons d’empathie.

Que ressent-on quand on a le mal de mer, à part la nausée et le mal-être ? Un membre d’équipage souffrant du mal de mer peut se sentir seul et exclu. Il peut entendre le reste de l’équipage discuter, rire et s’amuser, alors qu’il est coincé sur sa couchette. Il entendra le bateau naviguer et aura l’impression de passer à côté de quelque chose. Les bruits du bateau sont amplifiés en cabine – le claquement des vagues sur la coque, le grondement des treuils électriques et le battement des voiles. Sans contexte, cela peut être effrayant. La situation peut sembler bien pire qu’elle ne l’est, et l’on peut se mettre à imaginer tous les scénarios possibles. Ils peuvent aussi se sentir inutiles, de trop et gênés ; il est probable qu’ils ne se soient pas brossés les dents depuis quelques jours, qu’ils ne se soient pas lavés ou qu’ils n’aient même pas quitté leur couchette. Enfin, ils se sentiront tristes. Ils sont venus en mer pour découvrir la magie de l’océan – les étoiles, l’horizon, les dauphins, le bateau qui fend l’eau, les levers et couchers de soleil – et s’ils sont malades dans leur couchette, ils ne voient rien de tout ça.

 

Inspirée par deux courageux membres d’équipage que j’ai eu à bord l’année dernière et qui ont malheureusement souffert du mal de mer pendant quatre jours sur six lors d’une traversée entre la Suède et le Royaume-Uni, voici quelques suggestions sur la manière d’apporter votre soutien :

 

  • Prévoyez des moments pour aller surveiller la personne malade, prenez régulièrement des nouvelles afin qu’il ou elle ne reste jamais seul trop longtemps.
  • Mettez en place un moyen pour le coéquipier de vous faire savoir qu’il a besoin d’aide, car il n’a probablement pas l’énergie nécessaire pour crier ou se lever du lit. Une radio VHF dans sa couchette, peut-être paramétré sur un canal spécifique. Ou un système de drapeaux. Une cloche peut-être. Assurez-vous simplement que vous pouvez l’entendre ou le voir depuis le pont.
  • Lorsque vous allez le ou la voir, parlez doucement. Ce n’est pas parce qu’il ou elle a les yeux fermés qu’il/ elle dort.
  • Tenez-lui la main.
  • Expliquez-lui ce qu’il se passe : où vous êtes, quel est le jeu de voiles, quel est le plan de navigation. En d’autres termes, donnez-lui du contexte.
  • Passez du temps avec la personne et ne vous contentez pas de visites fugaces pour cocher une case. Divertissez-le/la. Faites en sorte qu’il/ elle se sente moins un fardeau et plus un(e) ami(e).
  • Aidez la personne à se sentir propre et humaine : essuyez son visage avec un gant de toilette frais, apportez-lui une brosse à dents et un bol pour cracher, et peut-être même mettez-lui du déodorant.
  • Au fur et à mesure qu’il ou elle se rétablit, réintégrez-le/ la en douceur. Aidez la personne à se sentir membre de l’équipage dont il ou elle voulait tant faire partie ces derniers jours. Confiez-lui des tâches qui lui permettent de se sentir utile, mais qui sont aussi accessibles à quelqu’un qui est encore probablement faible et lent. La navigation, par exemple. Ou tenir la barre en position assise.

 

J’ai commencé cet article de blog en soulignant le caractère inévitable du mal de mer pour tout marin. Je terminerai en rappelant que le jeu en vaut la chandelle. Passez au travers de ces premiers jours – peut-être une semaine – puis une seule journée ensoleillée avec un bon vent et une bonne compagnie suffira à faire que tout cela en vaille la peine. La beauté de la navigation réside dans ces expériences contrastées.