En automne 2023, j’ai lancé une série de webinaires dédiés aux femmes sur la préparation à la transatlantique. La première séance, intitulée « Aborder la préparation transatlantique », m’a fait réaliser que définir clairement son but était essentiel. Au lieu de se concentrer uniquement sur les aspects techniques comme les provisions, les pièces de rechange, et les réparations de voiles, j’ai vu l’importance de viser plus large pour une traversée réussie.

Se lancer dans une aventure, que ce soit traverser l’océan ou partir en famille avec des sacs à dos, peut rapidement nous faire croire que l’arrivée en elle-même est le but. Certes, il y a un début et une fin, mais est-ce tout ? Je pense que la plupart entreprennent ces aventures avec des objectifs bien plus profonds que simplement atteindre un point d’arrivée. Ils cherchent quelque chose de plus : un défi, une coupure, une évasion, un renouveau, ou même une transformation personnelle. Ces aspirations vont bien au-delà du simple fait d’arriver à destination.

Lorsque les aventuriers partagent leurs récits, ils ne s’attardent pas tant sur les détails pratiques que sur les découvertes personnelles, les changements de perspective, et les liens tissés en chemin. Le voyage lui-même, avec ses leçons et ses révélations, est souvent ce qui marque le plus.

De même, se lancer dans l’aventure d’acheter un Outremer est un périple en soi, marquant une étape significative de la vie. Chaque voyage, chaque première fois, chaque nouvelle découverte devient une partie de cette aventure sans fin. Alors, qu’est-ce qui vous motive ? Qu’espérez-vous trouver à travers cette expérience ?

Ce webinaire a souligné l’importance de définir ce que le succès signifie dans une traversée. Cela peut révéler des différences d’attentes et d’objectifs entre vous et vos compagnons de voyage, soulignant l’importance d’être sur la même longueur d’onde pour éviter les conflits et assurer une expérience enrichissante pour tous.

Dans le webinaire que j’ai tenu, on a beaucoup parlé de ce que ça veut vraiment dire de réussir sa traversée. En gros, tout le monde veut arriver de l’autre côté sans casse, c’est clair. Mais c’est crucial de se fixer des buts plus larges. En discutant de ça, on se rend compte souvent qu’on n’est pas vraiment tous sur la même longueur d’onde. C’est comme au foot : si la moitié de l’équipe joue la sécurité et l’autre moitié tente des trucs nouveaux, ça ne peut pas le faire. Pareil pour traverser l’Atlantique. Si pour le capitaine, c’est l’occasion de prendre confiance en y allant molo, mais que son second veut tester les limites du bateau, trouver un terrain d’entente va être compliqué, et à la fin, personne ne se sentira vraiment gagnant.

Après avoir clarifié ce que chacun veut, il est temps de discuter sérieusement avec ses coéquipiers pour définir ensemble ce qui est visé. Cette discussion peut être rapide si vous êtes déjà d’accord, mais partir du principe que c’est le cas peut être risqué. Mieux vaut en parler franchement. Il ne peut pas y avoir sur un même bateau une personne qui espère une navigation tranquille avec peu de voile et beaucoup de temps au mouillage, tandis que l’autre rêve de naviguer tous les jours et de faire le tour du monde à toute vitesse.

Après avoir précisé ce que la réussite signifie pour vous, que ce soit pour votre traversée ou l’achat de votre bateau, ma recommandation est de prioriser vos objectifs.

Au début de l’année 2023, j’ai rejoint des amis pour participer à la Race to Alaska. Nous formions une équipe de huit personnes. Avant la course, nous nous sommes réunis pour discuter de ce que « succès » signifiait pour nous. Cette discussion est survenue alors que nous étions en pleine réflexion sur une décision stratégique majeure concernant le choix de passer par le côté extérieur ou intérieur de l’île de Vancouver. Les avis divergeaient et nous peinions à trouver un consensus. Nous avons donc pris du recul pour mieux définir le succès, aboutissant à quatre critères : la sécurité, le plaisir, la rapidité et le respect de l’esprit de la Race to Alaska, listés par ordre d’importance. Ces critères sont devenus notre guide. Face au dilemme de choisir entre les routes extérieure et intérieure, notre « baromètre de succès » nous a presque directement guidés vers la décision. La route intérieure présentait moins de vent et nous permettait de rester à vue de nos concurrents, tout en suivant le parcours original de la R2AK. Nous avons donc opté pour l’intérieur !

Cet exemple illustre l’importance de définir clairement ce que réussir signifie pour un projet, facilitant grandement les décisions à venir. C’est le point de départ essentiel. Une fois la réussite définie, les choix concernant l’équipage, le remplissage des réservoirs de diesel ou le système de quart deviennent plus simples et augmentent les chances de succès global de la traversée. La même logique s’applique à votre projet. Si votre but est de faire découvrir le monde à votre famille, d’enrichir l’éducation de vos enfants par des expériences culturelles diversifiées et de vivre des années marquantes, il pourrait être judicieux de consacrer plus d’énergie à optimiser l’agencement intérieur pour l’enseignement à domicile plutôt que de se préoccuper d’acquérir un gréement en carbone.

Vous vous interrogez peut-être sur la manière dont la notion de « réussite » peut varier autant durant une traversée océanique. Est-il possible qu’il y ait réellement tant de façons différentes de définir le « succès » ? La réponse est affirmative. De nombreuses interprétations de la « réussite » pour une traversée existent. Par exemple, se hâter d’atteindre la destination est rarement le but principal. Pour une première traversée, il s’agit souvent d’acquérir de l’expérience. Avec le temps, vous pourriez envisager de changer de capitaine, donnant l’occasion au second de prendre le leadership. Une traversée peut être l’occasion de collecter des données pour affiner vos polaires. Ou encore, lors d’une navigation majoritairement portante, vous souhaiteriez peut-être vous perfectionner dans l’usage du spinnaker asymétrique. Il y a aussi des buts plus personnels : débuter un journal de bord, pratiquer la méditation et la gratitude au quotidien, ou encore profiter de cette isolation pour dévorer des livres. L’essentiel est de définir clairement ce que vous recherchez pour augmenter vos chances de le réaliser.

L’intérêt de définir le succès lors de passages est que vous les effectuerez régulièrement, surtout si vous vous orientez vers un croiseur hauturier performant. Les critères de succès évoluent, tout comme les personnes. Cela peut sembler relever de la thérapie de couple, mais le principe est similaire : les individus changent, et il est crucial de mettre en place un moyen de communiquer ces évolutions. Sans moments dédiés à ces discussions, il peut être difficile d’ajuster les perceptions de chacun sur ce qu’est la réussite. Par exemple, une personne gagnant en confiance pourrait préférer passer plus de temps à l’avant du bateau, tandis qu’une routine établie depuis des années pourrait nécessiter une réévaluation. Varier les rôles et les responsabilités nécessite une démarche intentionnelle pour éviter l’ennui ou le sentiment d’injustice. Ainsi, commencez par définir le succès, puis prenez le temps de revoir et d’ajuster cette définition régulièrement.

En 2013, je suis arrivée à Sainte-Lucie avec mon équipage de huit femmes, pour ma première course transatlantique en tant que skipper. Nous avons fini dernières, avec quelques jours de retard. La traversée nous a pris plus de trois semaines, sans jamais utiliser le spi. Et pourtant, contre toute attente, notre équipe était sans doute la plus épanouie de la flotte. Pourquoi ? Parce que nous avions défini ce que réussir signifiait pour nous avant même de partir. Notre vision du succès était de vivre une aventure transformatrice, de nous amuser et de faire la traversée de manière traditionnelle, sans dessalinisateur, réfrigérateur, ni pilote automatique. Ces buts étaient à notre portée. Chaque choix que nous avons fait allait dans le sens de notre mission. Nous avons pris nos nuits avec sérénité pour que la confiance de tous grandisse naturellement. Le jour précédant notre arrivée, nous nous sommes apprêtées pour accoster sous les meilleurs auspices et assurer une belle célébration.

Mon dernier conseil serait de rester authentiques dans cette démarche. Cette aventure vous appartient, sans place pour les « on doit », les attentes ou les notions de juste et de faux. Soyez audacieux. Ne perdez pas de temps à vous soucier de l’opinion d’autrui sur vos aspirations. Veillez à ce que cette première étape soit en accord avec vos désirs profonds !